Contexte et conclusions du rapport Paychère sur le bouclier fiscal vaudois
Publié à la fin du mois d’août dernier, le rapport signé de l’ancien magistrat genevois François Paychère rappelle que, pendant plusieurs années, le Département vaudois des finances, dirigé à l’époque par Pascal Broulis, n’a pas appliqué correctement le bouclier fiscal au bénéfice de contribuables aisés. Cette dérive a été identifiée par le ministre PLR en 2019 et corrigée en 2021.
Selon l’analyse de Paychère, cette correction pourrait susciter l’irritation de nombreux bénéficiaires. Fin 2023, certains d’entre eux se seraient adressés au Conseil d’État, plus précisément à Valérie Dittli, alors chargée des Finances. C’est le point de départ d’une crise institutionnelle qui, quelques mois après, a donné lieu à l’ouverture d’une procédure pénale.
Premier rapport critique
La procédure porte sur des soupçons d’abus d’autorité et de violation du secret de fonction au sein du Département vaudois des finances. Elle est née de la publication du rapport de Jean Studer, diffusé en mars, qui accusait Valérie Dittli d’avoir demandé par courriel « l’arrêt temporaire des taxations de contribuables au bénéfice du bouclier et l’annulation des taxations déjà effectuée ». La magistrate du Centre a vivement contesté cette lecture, soutenant qu’il ne s’agissait pas d’un ordre, mais d’une simple demande de renseignement destinée à ses services.
Deuxième rapport critique
Dans son analyse, Paychère souligne un élément problématique entre fin 2023 et juin 2024. Lors d’un apéritif de Noël, la conseillère d’État aurait mentionné un avis de droit obtenu auprès d’un professeur d’université et aurait souhaité que les taxations en cours soient suspendues et que celles déjà établies soient révisées. L’expert genevois précise que des discussions lors de cette période ont été marquées par une certaine tension.
Un extrait du rapport de l’ancien magistrat évoque également le fait que, dès l’automne 2023, des contribuables importants, et des représentants des milieux patronaux, se seraient adressés à la conseillère d’État pour se plaindre du niveau de taxation de leurs revenus.
Selon Paychère, cette dynamique aurait conduit Valérie Dittli à convoquer les hauts fonctionnaires de la division de la taxation et à leur demander de suspendre des processus fiscaux, voire de revenir sur des taxations déjà entrées en force, ce que les fonctionnaires auraient refusé. Un passage du rapport Studer est d’ailleurs cité, qui mentionne un courriel daté du 19 juin 2024 provenant du secrétariat de la ministre et réclamant exactement la même demande d’arrêt temporaire et d’annulation.
Réaction de Valérie Dittli et du département
Face à ces éléments, le département dirigé par Valérie Dittli a salué le travail d’éclaircissement réalisé par Paychère tout en contestant les actes qui lui sont attribués.
Concernant l’« apéritif de Noël », le département rappelle que Valérie Dittli aurait simplement demandé, à l’époque, un rapport à la direction générale de la fiscalité afin de mesurer l’ampleur du changement apporté au bouclier fiscal en 2021, et précise qu’il lui était impossible d’évoquer des avis de droit susceptibles d’avoir été commandés quelques mois plus tard.
En ce qui concerne la demande d’annulation ou de suspension des taxations, le département rappelle les propos publics tenus en mars dernier: selon le ministère, le rapport Studer concluait que la formulation pouvait être interprétée comme un ordre, mais que ce n’était pas l’intention de la Conseillère d’État. Il s’agissait, selon elle, d’un malentendu et de questions posées dans l’objectif de trouver des solutions.
Le département souligne en outre que, comme l’ont relevé les analyses de Jean Studer et de François Paychère, Valérie Dittli a dû faire face à une rétention d’informations de la part de la Direction générale de la fiscalité et a travaillé, avec le Conseil d’État, à restaurer la confiance des contribuables.
Influence des milieux économiques et cadre institutionnel
Un autre volet du rapport Paychère accuse la conseillère d’État d’avoir été sollicitée fin 2023 par des contribuables mécontents de leurs revenus issus de la période fiscale 2022. La discussion qui s’est enflammée au premier semestre 2024 est présentée comme le résultat d’interventions de milieux intéressés, cherchant des solutions qui dérogeraient au texte légal pour satisfaire certains contribuables.
Le département répond que l’objectif principal était de comprendre l’ampleur du changement opéré en 2021 et d’ouvrir des pistes permettant d’éviter une érosion des recettes fiscales. Il affirme aussi que les pressions exercées par différents acteurs font partie de la vie politique démocratique et que les membres du Conseil d’État restent indépendants et agissent dans le cadre institutionnel.
Selon les informations de la RTS, l’ensemble du collège a pris connaissance des questions posées par notre média. Cela témoigne de la sensibilité du sujet, d’autant plus que l’enquête du Ministère public vaudois est toujours en cours.
Marc Menichini, Pôle enquête